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Présentation des Védas 07/12/2020

Une expression poétique

 Les textes védiques sont tout d’abord une expression poétique, une œuvre littéraire finement ciselée obésissant à des règles métriques de versification très précises. La métrique est l'étude des unités qui se répètent régulièrement à travers des formes musicales. Appliquée à l'étude des formes régulières d'origine poétique (mètres, vers, rimes, strophes, etc.), la métrique est synonyme de la notion de versification. L’étude des rythmes musicaux, eux-même, dans la versification est appelée prosodie. D'une manière générale, la prosodie est l'ensemble des traits oraux que nous donnons à notre expression verbale, de manière à rendre nos émotions et intentions plus intelligibles à nos interlocuteurs : inflexion, ton, tonalité, intonation, accent, modulation… En outre, c'est l'étude des traits phoniques, c'est-à-dire l'étude du rythme (vitesse d'élocution), de l'accent et de l'intonation.

 Nous trouvons ainsi principalement deux modes de versification :

 1- Le Triṣṭubh est un mètre védique de 44 syllabes (quatre pieds ou pada de onze syllabes chacun). C'est le mètre le plus répandu du Rigveda, représentant environ 40% de ses vers. Le triṣṭubh pada contient une "coupure" ou césure, après quatre ou cinq syllabes, nécessairement à la limite d'un mot et si possible à une coupure syntaxique, suivie de trois ou deux syllabes courtes. Les quatre dernières syllabes forment ainsi une cadence particulière.   Dans la poésie védique, la prosodie employée est généralement un pied élémentaire composé d'une syllabe longue (ou accentuée) suivie d'une brève (ou non accentuée) appelé trochée.

Par exemple RV 2 .3.1:

sāmiddho agnír níhitaḥ pṛthivyām |
pratyāṅ víśvāni bhūvanān yasthāt |
hotā pāvakáḥ pradívaḥ sumedhā  |

devo devān yajat uvagnír ārhan  | |

"Agni est posé sur la terre bien allumée
il se tient en présence de tous les êtres.
Sage, ancien, Dieu, le prêtre et le purificateur
laissez Agni servir les dieux car il en est digne. "

Ceci doit être lu métriquement en marquant chaque césure.

2- L’Anuṣṭubh est un mètre et une unité métrique, trouvés dans la poésie sanskrite védique et classique, mais avec des différences significatives.

D’origine, une strophe anuṣṭubh est un quatrain de quatre lignes. Chaque ligne, appelée pied (pāda) possède huit syllabes. En sanskrit classique, l'anuṣṭubh s'est développé dans sa forme épique spécifique connue sous le nom de śloka, comme décrit ci-dessus, qui peut être considéré comme le vers indien par excellence.

Il est remarquable de noter que la civilisation traditionnelle de l’Inde a produit un grand nombre de textes entièrement versifiés. Le Mahabharata à lui seul ne comporte pas moins de 250 000 vers, quinze fois plus que l'Iliade, généralement partagés en shlokas de 32 syllabes chacun, formant deux hémistiches de 16 syllabes, partagés eux-mêmes en deux pada de 8 syllabes. (métrique Trishtubh).

 Ce travail d’orfèvrerie poétique démontre une grande passion des anciens pour l’usage du sanskrit et des belles lettres. Les sages et les savants  (pandit) de l’Inde ancienne accordaient une grande importance à l’expression orale dans la mesure où ils considéraient qu’elle permettait un usage des fonctions les plus raffinées de la Conscience.  En effet dans le Veda,  le son, l’ouïe, l’écoute, la parole sont considérés comme étant les émanations les plus proches du Verbe Créateur. Les sages des temps védiques accordaient ainsi une primauté à la vibration de la parole sacrée, elle était utilisée comme un véhicule permettant de se hisser vers les plans supérieurs des Dieux et des Déesses et encore au-delà pour accéder au niveau suprême et s’établir définitivement dans l’état Divin (Sat Cit Ānanda : Être Conscience et Béatitude).

 Une adoration de la Nature

 De manière constante et répétée, les poèmes du Véda se consacrent aux louanges de la Nature. Les auteurs inspirés déclament leur admiration pour la toute puissance des phénomènes naturels, ils louent avec émerveillement, la beauté de leur environnement naturel. L’observation de la Nature dans son infinie variété est une source d’émerveillement et de fascination en ce sens que la création des formes de vie sur la Terre mère et dans tout l’Univers est toujours empreinte du sceau de la beauté.  La perfection atteinte est inégalée, elle va bien au-delà de l’artefact humain le plus sophistiqué, l’agencement des formes de vie est prodigieux, le dessin des formes jusqu’aux plus infimes détails est toujours étonnamment   ajustés. Pour celui ou celle qui devient sensible à cette profusion, à cette incontinence amoureuse, à cette fantaisie toujours changeante, toujours renouvelée, se produit une forme de subjugation qui interrompt le cours de la pensée pour transporter l’individu dans un état extatique, à l’origine de toutes manifestations.

La sensibilité à la beauté est un accès direct et sans détours à une dimension divine de l’expression créatrice. La beauté est la marque du Divin, l’expression d’un génie dont la création aboutit à l’idée même de perfection. La contemplation de la beauté naturelle est en soi une pratique méditative des plus avancées car elle fait basculer l’adepte dans une attention seconde qui est la sensation de la pureté et de la perfection de sa propre Nature. En vérité, l’adoration et la contemplation de la beauté de la Nature fait ressentir, de manière la plus vivante qui soit,  la grâce infinie de l’Être. Cette contemplation conduit ainsi à la sensation évidente de notre beauté intérieure et de la primauté de la Conscience Divine sur toute création et sur tout l’Univers.

 Un rituel du Sacrifice

Les Védas sont principalement axés sur l’usage ritualisé de sacrifices. Qu’ils soient pour un usage domestique, religieux ou solennel, ils marquaient régulièrement les temps forts de la vie des individus et les accompagnaient de leur  naissance jusqu’à leur mort. Les sacrifices se déroulaient généralement en plein air, car il y avait bien évidemment toujours un feu sacré qui brûlait à l’air libre. Il n’y avait donc pas de temple ou de lieu clôt pour l’usage de cette activité. Les rituels sacrificiels ont été enrichis au fil du temps pour atteindre un niveau de complexité invraisemblable et jamais égalée dans la liturgie des religions humaines. Ces rituels complexes étaient élaborés et effectués par les brahmanes à l’initiative d’un riche commanditaire et parfois même d’un roi. Durant cette époque ancienne, les rois (raja) commandaient de grands sacrifices pour s’accorder les faveurs des Dieux et des Déesses. Ils espéraient ainsi la réussite de leur conquête guerrière ou encore la victoire sur leurs ennemis héréditaires. Ces grands sacrifices mobilisaient des dizaines de prêtres et des centaines de participants, ils se déroulaient aussi bien le jour que la nuit et pouvaient durer plus d’une année entière.

Les sacrifices avaient comme visée une ou plusieurs divinités du panthéon védique ancien : Prajapati, Indra, Mitra, Varuna, Vishnu, Agni, Kama, Rudra, Surya, Soma, Aditi, Ushas, Ratri etc… Il s’agissait de s’accorder les faveurs de ces Dieux et de ces Déesses en échange d’offrandes jetées dans le feu ou servies à l’adresse d’une statue représentant l’effigie de la divinité (murti).

Au-delà de l’aspect formel et religieux des sacrifices, les sages avaient compris que la vie est faite sacrifice. En vérité, rien n’échappe au cycle de la prédation, à la consommation des nourritures jetées dans le feu digestif. Cela est à ce point véritable que même sans alimentation, le feu de notre propre digestion continue de brûler. Faute d’être alimenté en nourriture, ce feu brûlera tout d’abord les graisses, puis il s’attaquera aux muscles et enfin il provoquera la mort par auto-combustion.

La manifestation toute entière peut ainsi se concevoir comme un vaste sacrifice avec d’une part le feu dévorant (agni) et de l’autre la nourriture jetée en oblation (soma).  À ce niveau cosmique, le feu est ici l’ardeur (tapas) de l’Être cosmique désirant se connaître, et la nourriture jetée en pâture est Sa propre nature inerte et opaque (jada).  De ce sacrifice cosmique et de cet effort, l’Être se dévore Lui-même ! Étant le socle illimité, la seule cause de toute la Réalité, Sa principale activité est ainsi de dévorer le Temps (Bhairava).  C’est de ce sacrifice que naît l’énergie de Conscience qui éveille l’Être à Lui-même et cela est proprement subjuguant car elle engendre la Vie, l’épreuve de l’existence consciente et lumineuse. Il n’est rien au-dessus de ce sacrifice car il procure spontanément chez l’Être la sensation propice de sa nature immense. L’Être devient ainsi comme le patient de Lui-même, son énergie de conscience (Cit śakti) engendrant et soutenant toutes les autres : Félicité (Ānanda), Volonté (Iccha), Connaissance (Jñāna) et Activité (Kriya) jusqu’à la création des êtres et de tout l’Univers (tattva).

Ce sacrifice exerce ainsi une énergie consumante de Lui-même, un incendie propageant une alchimie savante au sein de sa Nature inconsciente et inerte. Il engendre la lumière déchirant les ténébres, la connaissance par delà la nescience. Cette transformation provient de sa Nature métamorphique qui fait apparaître comme à l’extérieur ce qui est ressenti intensément à l’intérieur de Lui-même. Cette réflexion toute intérieure fait ainsi passer du non-être à l’être, de l’ombre à la lumière, du sans forme à la forme, du non manifesté à la manifestation toute entière. L’être épris de Lui-même assume aussi bien l’existence des êtres mobiles et immobiles, il est présent aussi bien dans le sujet que dans l’objet,  aussi bien dans le feu que dans la nourriture.

Les Dieux et les Déesses

Dans les Védas, il y a de nombreux Dieux et Déesses qui parfois s’engendrent mutuellement de manière incestuseuse. Les anciens voulaient nous faire comprendre, par là,  que toutes formes de Vie provient d’une source unique et que nous sommes donc tous parents.  Toutes les formes d’existence descendent ainsi d’un seul Être et d’une seule et même énergie de Conscience. Les sages avait ainsi « vu » la subjectivité dans toutes formes d’existence, c’est-à-dire qu’ils « voyaient » le Sujet dans chacune des manifestations de la Nature. Les éléments narurels devenaient ainsi des personnes ayant un rôle à jouer pour eux-mêmes, en suivant leur propre dharma, c.a.d éprouvant chacun dans leur forme et quelqu’en soit la forme, une forme d’expérience particulière, une existence individuelle. Chaque forme de la Nature assume ainsi un rôle, une fonction créatrice de la Vie,  manifestant par là-même l’expression de la Grande Personne (Maha Puruṣa).

Ces mêmes Dieux et Déesses se retrouvent également en nous, en ce sens qu’ils animent nos désirs, nos pulsions, nos penchants, comme autant d’énergies auxquelles il nous faut sacrifier. Si le décor du théatre de la civilisation change au fil du temps, ce sont toujours les mêmes enjeux qui nous poussent et motivent nos actes. Les Dieux et les Déesses sont ainsi comme les rouages invisibles qui relayent les énergies primordiales présentes à l’origine de la manifestation. Ce principe est aussi bien présent dans la Nature que présent dans le cœur des hommes et des femmes. Il s’agit ici d’une volonté irresistible, incohercible d’accomplissement et de complétion. C’est-à-dire que la vie humaine devient un accomplissement, une aventure de connaissance de la Nature de l’Être Cosmique.

 Ce que le Tantra a démontré de manière plus moderne était déjà contenu dans les Védas, il faut ainsi traverser ces énergies, les chevaucher pour éprouver en Soi, sous la gouverne des Dieux et des Déesses, les grands archétypes de la Vie céleste. Il nous faut éprouver les vices et les vertus, la luxure et la frugalité, l’orgueil et l’humilité, la cruauté et la générosité, l’amour et la haine, etc… Cette dualité présente en nous existe également dans le panthéon hindou entre les Deva et les Asura. Les Deva représentent les forces qui nous poussent à vivre dans la lumière et la conscience alors que les Asuras tentent de nous attirer vers l’obscurité et la réification dans la matière inconsciente. Cet enjeu est au centre de l’enseignement des Védas et plus généralement des textes traditionnels de l’Inde. Il alimente encore aujourd’hui notre littérature et toute notre culture moderne.

 En voici le sens véritable :

 L’Être assume aussi bien l’obscurité de la nescience que la lumière de la connaissance, ces deux aspects de l’être correspondent à l’immensité de l’Être qui peut aussi bien se tenir inerte dans l’inconscience  (jada)  que d’expérimenter une conscience éveillée (jagrat).  Ces opposés se retrouvent dans les Gunas, qualités premières de l’Énergie de conscience, à savoir la force centripète qui condense (sattva) et l’énergie centrifuge qui disperse (tamas), la résultante des deux étant l’activité orbitante (rajas).

Il y a donc bien une responsabilité pour tout à chacun qui participons à cette aventure de la Vie.  Il y a donc bien un choix entre se porter vers la Lumière qui condense la Conscience d’Être et l’Obscurité qui cherche à s’enfoncer dans la matière la plus noire. D’un côté se tiennent les énergies qui portent l’Être à la plénitude de la sérénité, à la globalité, à l’ordre et donc à la générosité, la paix et la concorde, et de l’autre des énergies qui portent l’Être au vide du manque, au chaos et à l’anéantissement et donc à  l’égoïsme, la vindicte et la colère.

« Dans la vision védique, l’idée de l’existence implique toujours un combat : Prajapati lutte pour manifester le monde, il ‘fait effort‘. Tout ce qui s’active du côté de la vie fait effort et les hommes participent à cet effort vital, en versant le beurre clarifié dans le feu du rituel, mais aussi en ayant conscience de leurs gestes quotidiens. Chaque geste contribue ainsi à l’édification et au maintien de l’existence. Chaque intention, chaque prière, chaque positionnement, rend le monde à l’existence. Ainsi, les sages védiques, sont persuadés que si l’on cessait d’entretenir le feu du rituel et de faire les offrandes en disant les paroles auspicieuses, le soleil ne se lèverait plus, le monde glisserait vers l’informe. Quand on cesse de porter attention, quand les actes sont désacralisés ils cessent d’entretenir l’harmonie et le monde dérive vers le chaos. Les « démons » sont ceux qui « défont » l’univers, ils le poussent vers le non-être, vers la destruction et la dissolution. Chacune de nos décisions ou absence de décision, fait le monde, chacun de nos gestes ou absence de geste, lui donne sa forme d’instant en instant. Dans le Véda des origines on insiste sur la notion de « faire couler », qui n’a rien à voir avec celle de « laisser-aller ». « Faire couler » signifie que chaque être humain est une source, chaque être humain est responsable du flot, car c’est à partir de cette source que le monde vient à l’existence. Cette création permanente réclame un effort, car l’existence, livrée à elle-même, retourne à la non-existence d’où elle est issue. Il n’y a rien de moral, aucun jugement, c’est la pente naturelle des choses. La sacralisation de nos actes est une manière de nous le rappeler. Sans ce rappel, l’oubli efface la connaissance, le soleil tend à disparaître, les forces de l’ombre progressent. Loin d’être une punition, l’effort est ce qui nous permet de goûter à la réjouissance, ce qui nous permet, jour après jour de faire pencher la balance du côté de la Vie, ne le négligeons pas, chacun de nos efforts est une prise de position, une façon d’émettre le monde tel qu’il mérite d’apparaître : dans la réjouissance de l’Être. » Citation d’un Post de Sophie Maegerlin sur FB. Nov. 2020

L’erreur manifeste est l’objectivité, c’est-à-dire de considérer notre environnement comme autant d’objets de nos désirs et de nos possessions. L’erreur est de chercher le bonheur, comme une fuite en avant, dans l’appropriation des objets que convoite notre ego. L’erreur est dans l’attache aux nourritures terrestres et à la matérialité de leurs objets respectifs.

La  vérité est la subjectivité de l’Être, la vérité est d’appréhender l’Unique qui fait comprendre que nous sommes tous reliés les uns aux autres. La vérité est de comprendre que les objets perçus sont de même essence que le Sujet qui le perçoit. Pour celles et ceux qui ont le cœur pur, ayant déchiré le voile de l’ignorance  (māyā), ces mêmes objets deviennent alors l’expression du pur Sujet qui se montre de manière parfaitement extravertie, sans honte ni retenue, dans sa nudité essentielle. La vérité est d’appréhender la qualité universelle de l’Être présent en nous comme dans tout l’Univers.

La Réalisation du Soi

 Au-delà des mots, des concepts, se tient un Être qui n’est rien et qui est tout. En vérité, en cette vie, et depuis que le monde existe, ce qui est sensible, objectif, mesurable, limité, en somme l’univers manifesté, est jeté par le sacrifice de la Vie, tout entier, en oblation dans le non-né, l’invisible, le sans forme, l’illimité…

 L’Être vient de nulle part, le mystère de l’origine  ne doit pas masquer le sens véritable de cette heureuse naissance. C’est l’apport fondamental des Véda, que d’avoir Vu l’invisible dans le visible, l’Un dans le Multiple, l’Être dans l’Univers. Cet Être unique est au cœur de chacun de nos actes, il est à la fois immanent et transcendant, il est à la fois existence et non existence, il est non duel, au-delà de la dualité.

Nous sommes Sa création et nous avons hérités de toutes Ses qualités. L’incarnation en forme humaine est donc une chance considérable car elle est, dit-on, la seule possibilité de réaliser le Soi dans son acceptation sui generis, aussi bien dans sa forme particulière que dans sa forme universelle. Cette réalisation, ne peut être éprouvée que par soi-même, dans le cœur, par  l’Amour de Cela.

Le Soi, l’âtman est le principe qui insuffle la Vie, qui anime toutes choses, qui donne un sens véritable à tous nos actes. Sa réalisation est le but de l’existence humaine.



Michel  Chauvet
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