Le lion de Pune est mort | 15/11/2014 |
j'ai appris la mort de mon maître Shri BKS. lyengar. Le lion de Pune est mort. Pourtant il n'y avait pas de tristesse, mais une profonde nostalgie. La nostalgie de ce vent de liberté qui soufflait et s'incarnait dans sa présence.
Un auteur a dit « le silence qui suit Mozart c'est encore du Mozart ». Soudainement dans l'absence de sa forme, sa présence n'en devenait que plus évidente, radieuse dispersant les nuages des doutes pour laisser la place à l'émerveillement et à la gratitude. Comment ne pas s'émerveiller du jeu de la Conscience qui s'incarne dans une histoire de légende et commence presque comme un conte.
C'est en effet l'enfant chétif, maladif qui n'a aucun futur, sans une grande éducation que les dieux vont choisir pour que le yoga puisse être de nouveau révélé, embraser l'occident et regagner ses lettres de noblesse dans son pays d'origine. Que de formidables tempêtes, obstacles, oppositions, désapprobations humiliations a-t-il rencontré et surmonter.
Les pratiques yogiques avaient un passé sulfureux. Bien souvent interdites et clandestines, elles s'adressaient aux renonçants, ceux qui fuyaient le monde. Le yoga était assimilé aux fakirs et autres vagabonds fous, bannis par la société. Quant aux pandits ils n'étaient intéressés que par une approche philosophique, intellectuelle qui bien souvent les amenait à la négation du monde et au déni du corps. Quelle crédibilité pouvait donc avoir un homme marié qui pratiquait ce qui apparaissait comme des contorsions ?
La relation avec son guru Krishnamacarya fut tourmentée et empreinte de peur. Il ne resta que deux années avec ce dernier qui ne lui enseigna presque rien, mais lui fit remarquer qu'il n'était pas fait pour cet art. De cette terrible tension entre l'absence de reconnaissance de son maître et le rejet de la société jaillirait une lumière qui allait éclairer le monde du yoga. Quelle profonde solitude a-t-il dû connaître lorsqu'encore très jeune sans aucune expérience et connaissance il se retrouva à Pune pour enseigner. Dans la tradition on parle de deux sortes de gurus. L'un qui a été formé par les rites, les initiations, l'accumulation de connaissances et qui les transmet. L'autre est celui qui n'est pas façonné (akalpitaguru) conventionnellement, mais qui est initié par les déités de sa propre Conscience et résonne d'une autorité spontanée. Voilà ce qui caractérise à mon sens l'enseignement de BKS. lyengar. Cette perpétuelle initiation à soi-même. Il disait que la pratique était son mantra. Mantra qu'il a déclamé majestueusement jusqu'à la fin de sa vie. Son exploration était constante, en dehors des sentiers battus, ce qui lui donnait une liberté innovante qui révolutionnera l'approche du yoga.
En voici quelques aspects :
1. Le corps comme mandala de la conscience
« Le corps est mon temple, les asanas sont mes prières.
Chaque asana vous enseigne l'art du silence. Chaque asana est libre. Diffuser cette liberté partout. »
On peut dire qu'avec Sri BKS lyengar le langage postural est devenu très clair, très précis. Il y a une clarification des asanas dans les différents groupes et leurs interactions. Cette interaction devient évidente avec la notion de série. Ainsi il a créé tout un alphabet postural qui nous permet de comprendre notre sémantique interne.
Un des grands axes de cette sémantique est le concept d'alignement qui n'est pas simplement un alignement physique extérieur, mais qui se réfère à l'équanimité (samatva).
Cette compréhension est facilitée par l'utilisation des supports qui permet d'ouvrir la pratique à tout un chacun, avec bien sûr tout l'aspect thérapeutique propre à son approche. C'est un merveilleux cadeau fait à l'homme contemporain où qu'il soit et quoiqu'il fasse d'avoir la possibilité s'il le désire de pouvoir au travers de sa forme corporelle pressentir la Conscience. Ainsi lorsque l'on explore le corps on explore fondamentalement la vibration de la Conscience.
2. Le verbe précède la parole
« Pourquoi chanter OM. Om est dans notre propre corps »
Sri BKS.Iyengar est bien sûr célèbre pour l'utilisation du langage dans la pédagogie pour décrire les différentes actions. Il s'en sert pour aller de plus en plus près de l'instruction interne qui, elle, est non verbale mais qui est vibration et donc mantra. La description de cette vibration interne dans l'action et le mouvement au travers du langage est une autre facette de son génie.
3. Observer les différentes colorations du mental dans la neutralité
« Passé et futur sont contenus dans chaque posture. Le présent c'est la pose parfaite. »
L'exploration des différentes formes d'asana devient la loupe des différentes attitudes mentales. Le placement et la clarté de certains espaces dans l'asana permettent de rencontrer les antagonismes dans la neutralité.
4. Le corps mental comme expression du souffle
«Lorsque vous inspirez, c'est le seigneur qui pénètre en vous, lorsque vous expirez vous vous abandonnez à lui.»
Toutes les asanas sont fondamentalement une exploration des différentes modalités respiratoires. Sri BKS.Iyengar nous a donné des moyens très efficaces (en privilégiant certaines asanas avec support) pour explorer les différents diaphragmes pelvien thoracique et vocal. La pratique intelligente des asanas est une condition sine qua non pour la compréhension des techniques de pranayama.
Là aussi comme pour les asanas il y a une clarification des différentes techniques qui auparavant n'étaient décrites que très superficiellement ou pas du tout dans les textes. Au-delà des différentes techniques, pédagogies qu'il a transmises, qui ont influencé la plupart des écoles de yoga contemporaines et qui guideront les générations à venir, mon maître m'apparaît comme un bhakta qui adorait le suprême dans le corps et les différentes expressions de la vie.
Il avait en lui le feu, la passion et l'absolu et n'enseignait son art qu'à travers eux. En sa présence on était toujours en état d'urgence, dans le maintenant, qui brûlait les peurs et les hésitations. Un jour qu'on lui demandait comment il faisait pour rester si longtemps dans une posture il répondit : « vous faites la pose, je suis la pose ». Derrière ses yeux de braise et ses sourcils en broussaille, il y avait cette question malicieuse. De quoi as-tu peur ? Qu'Est-ce que tu risques puisque tu n'es pas le corps-mental ?
Le rugissement du lion de Pune s'est fait entendre aux quatre coins du monde. Il nous a réveillés d'une certaine torpeur et nous a montré que, quelles que soient nos circonstances nous pouvions aussi rugir librement. Son cri pour l'absolu restera dans mon cœur jusqu'à mon dernier souffle. Hommage à mon guru, mahasiddha parmi les siddha dont le terrain de jeu est l'univers. Salutations au Guru qui, par compassion pour mon ignorance, m'a initié au Yoga. Gloire au Guru, lumière de la Conscience, miroir de ma propre présence.
Dhyanamulam GururMurthîhi : La forme du guru est la méditation
Piijamulam GurohPadam : Les pieds du guru sont l'adoration
Mantramulam Guror Vakyam : Les mots du guru sont mantra
Auteur : Christian Pisano
« Ma fin doit être votre début »
Cher Mathieu, vous me demandez l'impossible, en me suggérant d'écrire quelques mots sur guruji Yogacharya Sri BKS lyengar. Je n'ai ni la connaissance de la grammaire, ni le talent, ni la lumière de Patanjali pour ne rédiger que quelques aphorismes succincts sur cet homme exceptionnel, dont le travail acharné a révolutionné le yoga et inspiré des millions de personnes sur terre.
Depuis que j'ai commencé à rassembler ses œuvres éparpillées (les articles, les conférences, les sessions de questions réponses et même les paroles) en 1982 et en l'accompagnant par la suite dans tous ses voyages de 1984 jusqu'à son départ, j'ai été émerveillé par l'extraordinaire patience de cet homme qui a répondu à coup sûr plus de mille fois dans sa vie « je suis né le 14 décembre 1918, dans l'année d'influenza, qui a emporté ma mère plus tard... », décrivant ensuite son enfance d'extrême pauvreté, ses maladies graves et sa chance d'avoir été pris par son beau-frère T. Krish-namacharya, qui, en lui infligeant une vie extrêmement dure et humiliante, lui a transmis les premiers fragments de la pratique de yoga.
Dès lors, l'adolescent chétif et malade qui n'arrivait même pas à tenir sa tête droite à cause de sa grande faiblesse, ni à s'étirer vers l'avant avec les bouts des doigts plus loin que les genoux et qui malgré tous ses efforts, n'avait rien réussi jusque là dans la vie, entendait une voix intérieure lui dire que le yoga était la seule solution à ses problèmes qui semblaient sans issue. Cependant, le considérant inapte pour la pratique du yoga, son maître se débarrassa de lui et l'envoya à Pune pour enseigner le yoga dans un gymnase. Guruji se retrouva alors devant des athlètes plus souples et plus forts que lui. Néanmoins, cette situation l'a motivé encore plus à s'adonner à une ascèse intense de presque vingt ans, avec une pratique qui allait jusqu'à 15 à 17 heures par jour, malgré la faim qui le guettait jour et nuit. Il me disait que c'est seulement après douze ans qu'il a senti ce qu'était la 'santé'. Désormais, sa voie était tracée, car il cherchait à tout prix à trouver le moyen d'utiliser son approche de la pratique du yoga pour aider ceux qui venaient à lui avec des problèmes divers. Il a alors commencé à utiliser son propre corps, pour que les gens puissent tenir les postures. Graduellement, il a inventé des supports divers qui ont contribué à la célébrité de sa méthode.
Il me racontait aussi que quand il était jeune, il n'avait pas les moyens d'acheter des livres et qu'on ne le laissait pas entrer dans les bibliothèques publiques à cause de son apparence : il n'avait que deux dhotis pour se couvrir et qu'une seule lame de rasoir qu'il n'utilisait qu'une fois par semaine, pour l'économiser. Néanmoins, chaque fois qu'il avait la possibilité d'observer des postures faites par des yogis, il se demandait pourquoi ces postures ne correspondaient pas aux principes décrits dans les yoga sutras et les Upanisads et mettait en doute les effets thérapeutiques promis par les auteurs, car leur façon de réaliser la posture ne montrait aucune stimulation ou travail de guérison dans leurs corps. Finalement, ce n'est qu'en 1981 qu'il a formulé très clairement sa théorie de l'alignement à laquelle il était déjà parvenu pratiquement depuis la fin des années 30. En 1966, il publia Lumière sur le Yoga et aux dires des historiens de yoga, il divisa ainsi l'histoire du yoga contemporain en deux époques distinctes, l'avant et l'après Lumière sur le Yoga.
Ascète de nature, religieux et profondément discipliné, il fut un maître extrêmement exigent, mais à côté de tout cela, il a su mener une vie familiale et sociale d'une souplesse, d'une chaleur et d'une joie contagieuses. Guruji fut couvert d'honneur par le monde, choisi par le Times Magasine parmi les cent hommes les plus influents du monde ; il fut le premier yogi à entrer dans le dictionnaire Oxford de son vivant, il reçut une des plus hautes distinctions de l'Inde, par les mains du président lui-même, quatre mois avant son départ.
Il a investi tout son argent, toute son énergie et son influence pour créer des écoles et un hôpital bien équipé dans son village natal et offrir ainsi tous les moyens d'éducation gratuite aux enfants de cette région très pauvre de l'Inde, afin de créer une génération cultivée à l'éducation moderne, sur les fondements du yoga et de la spiritualité hindoue. Toute la vie de Guruji fut un message clair et complet, mais lors d'une nos dernières rencontres, M a dit une phrase qui m'a profondément touché : « ma fin doit être votre début ». Guruji quitta son corps physique le 20 août 2014 à 3h du matin en pleine méditation dans son lit.
Auteur S.E. Biria
Faeq Biria dirige le centre de Yoga lyengar de Paris
www.sfbiria.com
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