Le Yoga et la Danse | 23/07/2012 |
Lui, l'âme qui habite au-dedans et au-dessus » La Bhagavad Gita
Vivez en déployant les ailes de l'aigle intérieur...
Le premier art né à l'aube de l'humanité fut la danse, une prière du corps face au mystère de la vie, de l'univers. Peut-on dire que ce furent les prémices du yoga ?
L'expression du mystère en dansant, fut sans doute le début d'une conscience d'habiter un corps. Nos ancêtres, pour satisfaire à l'instinct de survie omniprésent dans le monde vivant, furent instinctivement contraints d'en prendre soin, le nourrir, le préserver des agressions, le maintenir sain... ainsi en est-il du monde animal dont nous sommes supposés être les plus évolués.
Alors, fermons les yeux et plongeons dans la Mémoire du Temps, empruntons un vaisseau à remonter vers l'origine... Nous voici parmi les premiers humains, homo sapiens doués d'une intelligence plus développée que ce qu'on a cru - aux dernières nouvelles des chercheurs - conscience de vie, de l'Autre, du cœur qui bat, du souffle, conscience de mort, disparition des battements du cœur, du mouvement et du souffle, inertie, c'est déjà la conscience du lien, Jug, yoga et l'on danse pour communiquer avec le Mystère, l'Esprit, ou tout simplement pour avoir moins peur, pour questionner sans attendre forcément de réponse, mais juste parce que ça libère...
N'est-ce pas ce que font le chamane et le sorcier pour invoquer les esprits et ce à travers toute l'histoire de l'humanité jusqu'à présent ? La danse-invocation est prière, reliance au Mystère, n'est-ce pas le sens profond du yoga ? La danse de Shiva émerge du fond des âges, de la nuit des temps... C'est l'Union du Mouvement et de l'Immobilité, du Ciel et de la Terre, de Dieu et de sa Parèdre, de l'union des contraires. « C'est un mouvement et un repos » nous dit la Bible...
La danse conjointe au yoga écrit l'Espace et le Temps, symboles de l'univers en expansion constante. Le yoga qui, poussé au-delà du simple bien être, devrait nous conduire vers une perception de l'au-delà, de la naissance et de la mort, en tous cas de la conscience aiguë de notre « éphémérité », de l'omniprésence de la Présence, de ce qui est en tout et en chacun, l'Union des contraires, le Tout, l'Unité du Tout.
La danse immobile de Shiva dans le rêve d'Icare, le Rêve et la Réalité sont comme deux langages, deux faces d'un même monde. L'architecture subtile du corps humain devient presque tangible, exacerbée par le yoga, qui, en se glissant subrepticement dans le corps du danseur, le rendrait transparent, en contact direct avec shounyata, le vide lumineux - ainsi nommé par le Bouddha- essence même de l'être.Ce serait comme deux écritures, avalées l'une dans l'autre pour ne faire plus qu'Un...
Etre totalement présent, dans le silence de l'être. A chaque respiration, transformez le plomb en or, là est l'alchimie. La danse a évidemment un aspect catharsis, elle exorcise l'anxiété : on s'y perd et on s'y trouve... La danse comme le yoga dissolvent les limites du corps physique, de la pensée qui s'efface pour faire place au silence mental.
En ce qui concerne ma modeste expérience « d'aventurière de l'âme » la danse fut ma première planche de salut, mon sauveur, porte de sortie des enfermements proposés par une société qui n'en peut plus d'avoir perdu en grande partie ses racines spirituelles et d'être trop tournée vers la matière en y enfermant l'Esprit, qui, prisonnier, génère une pensée réductrice... Le sentiment de liberté que procure la danse surtout lorsqu'elle devient oubli de soi -cependant maîtrisé par la technique - laisse soudain et pour la plus belle expérience, la place au Soi dans les moments de grâce.
La poésie naît de l'unité de soi avec le Soi. Il prend alors sa place dans l'espace étroit du corps en le dépassant largement... En allant plus loin, le sens profond du yoga propose d'aller vers la libération. A la danse seule, il manquait quelque chose, une approche plus précise et consciente de l'architecture sacrée du corps qu'apporte le yoga. Très jeune je souffrais de ce que je nommais « des angoisses métaphysiques », la danse m'a permis de les affronter, le yoga, de les dépasser évidemment avec l'aide précieuse de mes maîtres : Balayogi (1), Drukchen Rinpoché, Yogi Bhajan, Ma Ananda Mayee, Anima. En danse : Rosella Hightower, Maurice Béjart, Kathleen Henry d'Epinoy... pour ne citer qu'eux. Sans compter toutes celles et tous ceux rencontrer ici et là au cours de la vie. Tous m'ont tant donné, je leur exprime ici toute ma gratitude.
Yogi Bhajan disait toujours que « le yoga est une science et un art » il m'a dit aussi que pour lui les danseurs étaient ceux qui étaient au plus près du Kundalini yoga. Il y a quelques années, j'ai été invitée par Tessa Beaumont - ex danseuse étoile à l'Opéra - à donner des cours de danse contemporaine lors d'un stage de danse à Royan, puis au cours d'une conversation, l'inspiration lui fit me proposer de donner un cours de yoga à une soixantaine de déesses, des adolescentes de l'Opéra de Paris. On aurait dit qu'elles avaient fait du yoga toute leur vie : l'exécution des exercices fut parfaite, elles savaient tout, il ne manquait qu'une conscience plus aiguë du souffle, c'est-à-dire le fait d'associer le souffle au mouvement en le traversant, pour lui donner toute sa puissance, son rayonnement, sa généreuse capacité à transmettre l'énergie. La danse contemporaine telle que je la propose y fut bien accueillie par les danseurs classiques, sans doute y ont-ils trouvé une polarité en harmonie avec leur propre discipline. Il a découlé naturellement de cette intégration du yoga à la danse, un langage que je nomme « danse sacrée contemporaine » ce qui m'a valu d'être mise à part des programmateurs du milieu de la danse... et a rendu ma vie de danseuse plus riche mais encore plus difficile parce « qu'atypique », comme on dit... J'ai vu dans le bureau d'un célèbre agent artistique de l'époque, un dossier me concernant avec écrit dessus « spirituel » ce qui équivalait à un sens interdit ! Je cite, au passage, quelques noms de férus d'une « autre danse » car cette approche rendit encore plus complexe une profession qui ressemble plutôt à un sacerdoce...du reste on y entre comme en religion ! C'était d'ailleurs le point de vue de Maurice Béjart, avec lequel j'ai travaillé dans ma prime jeunesse : une vie monacale entièrement dédiée à notre art où l'on travaille dur pour plier le corps à la discipline en mangeant le moins possible et en se contentant d'un maigre salaire, bref une vie aussi dépouillée que possible à l'image de celle des moines et des nonnes.
Je cite entre autres Jean-Marie Grenier, alors directeur du festival de Carpentras, avec les Créations « Offrande » et « Aum Namo » ; même programme au festival de Sophia Antipolis. Chérif Khaznadar, alors directeur de la Maison des Cultures du Monde, me donna carte blanche pour le spectacle « Murmures de Mère » que je dansai avec ma fille Aurore durant deux semaines, deux années consécutives, chose très rare en danse. C'est un hommage à la Mère divine, à Balayogi et à la gratitude d'avoir reçu un enfant : nous avons mis sur scène l'aventure humaine d'une mère et de son enfant. Yvo Cramer de l'Opéra de Stokholm très féru de danse sacrée, qui avait vu « Aum Namo », m'invita avec « le Regard de l'Arbre » au festival de la danse française en Suède dont il était l'initiateur, au grand dam des « décideurs français » qui ne purent s'y opposer, c'était plutôt amusant ! Ce spectacle est une relation étroite avec l'esprit des arbres : les racines, la poussée, le déploiement, une expérience qui m'a emmené très loin dans un état modifié de conscience.. .me mettant en contact avec la souffrance de la Nature et en l'occurrence, des arbres. Jeanine Charrat m'invita à Beaubourg avec « Le Voyage en Poussière d'Or » alliance d'une recherche sonore (il y eut création d'instruments) avec la danse, écriture inspirée suite à une vision en « poussière d'or »...
Toutes ces créations étaient de purs produits de la synthèse du yoga avec la danse. Surtout Aum Namo que j'ai eu l'honneur de danser au Temple des Mille Bouddhas (en Bourgogne) devant une noble assemblée de Lamas... l'un d'eux m'a dit « c'est un aspect paisible de Shiva ». J'ignore ce qu'ils m'ont transmis durant une heure, mais je suis sortie de là en marchant à un mètre du sol, les rôles étaient énergétiquement inversés. Aum Namo (2) est une méditation sur l'espace et le temps, dans un rythme constant, dont le fonctionnement est une concentration qui part d'un œil unique au centre du corps... c'est une sorte de géométrie sacrée mouvante - paraît-il hypnotique aux yeux de certains, en tous cas, c'est une véritable méditation à interpréter. A son propos voici une anecdote : un jour que je me sentais triste et incomprise dans mon travail, je reçus un courrier de là où je venais de donner ce spectacle. Il disait ceci : une dame, paralysée depuis sept ans de l'épaule, avait dit « j'ai fixé la danseuse, une énergie s'est mise en mouvement et mon épaule est redevenue mobile... ». Et ceci de la part d'une petite fille à ses parents : « au fond cette personne nous a prouvé l'existence de Dieu ». Rien que ça ! Imaginez ma surprise ! Voilà ce qui peut arriver au bout d'un travail de fourmi entre les quatre murs d'un studio pendant des mois. Une journaliste a écrit « on est toléré à sa cérémonie »... ça c'est rigolo.
En Inde ce fut au contraire un avantage, dans un contexte où j'entrais de plein pied, si j'ose dire, en terrain familier, j'y ai dansé dans la plupart des villes pourvues d'un théâtre... surtout « Offrande » qui parle d'une momie qui revient à la vie après 5000 ans, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une momie dans un cercueil de verre à l'entrée du Muséum Theater de Madras ! C'est un spectacle en quatre étapes d'évolution : la momie qui devient Vénus incarnée, puis qui entre dans la matière sous un grand drap noir, évoquant la création : l'océan, les montagnes... Puis ce drap immense s'élève lentement dans l'espace pour devenir un temple qui laisse apparaître un yogi parfait, tournant à la fin comme les Soufis, symbole de la rotation de la terre autour du soleil. L'Afrique aussi est très sensible à la dimension spirituelle mais dans un sens plus chamanique, là j'ai donné « les Mémoires d'un Feu » inspiré des rites gangétiques de purification et de l'évolution de la conscience par le tratakan du feu : passage du minéral au végétal à l'animal et enfin à l'humain. Au cours d'une mission pédagogique, les danseurs africains ont profondément apprécié le Kundalini yoga qui fut compris comme un outil de libération du joug de la domination. La création chorégraphique mit en scène leurs rites culturels, et leur performance étonna beaucoup les personnalités présentes au spectacle qui ne les avaient pas crus capables d'une telle qualité. Comme quoi en introduisant le sacré, il y a surprise et dépassement...
De la danse et du yoga, on peut dire que l'un aiguise la conscience de l'autre. Ce qui était pure intuition sans connaissance en danse devient intuition consciente en yoga. Ce qui est immobilité en yoga est mis en mouvement par la danse qui appréhende le corps comme un outil d'expression vers un dépassement du corps. Le yoga aussi, mais le voyage est différent dans le sens où il n'est pas un langage d'expression face à un public, mais une expérience tournée entièrement vers le dedans, et ce qui rend l'un comme l'autre encore plus fort, c'est le sentiment d'Union avec les autres. La danse touche à l'image narcissique car il y a «représentation» : on est dans une relation d'échange avec le public, même quand on s'oublie dans un abandon total, la conscience tournée entièrement vers l'intérieur. La dimension intuitive que l'on retrouve sous des aspects différents dans les deux approches, est une façon de danser avec l'Invisible. En se mettant en état d'unité intérieure, les mondes subtils deviennent palpables. Le corps dansant est instrument de création de formes, d'écriture dans l'espace, de qualités d'énergie, de dimensions multiples, en longeant le fil des émotions alliées à une sensibilité tactile qui circule en soi et en alchimie de soi avec les présences des spectateurs. En yoga comme en danse, le corps est considéré comme temple de l'esprit ; il est appelé, en yoga, à disparaître en tant que perception physique, dans la réelle expérience de méditation où le voyage ne s'inscrit pas physiquement dans l'espace, alors qu'en danse le corps trace une écriture dans l'espace. Si l'on pratique le yoga juste avant la danse, on met ce voyage immobile en mouvement qui écrit, comme on dessine dans l'espace de la feuille de dessin. Chaque respiration, chaque geste, laissent une trace de soi dans le vide de l'espace, je l'ai entendu dire par Bob Wilson qui fait une sorte de théâtre sacré et dont le travail est entièrement basé sur la notion espace-temps : il associe la lenteur au vide. Il a dit aimer plus la danse que le théâtre car elle est mouvement. Il a expliqué que sa pièce « le Regard du Sourd », est partie de sa rencontre avec un jeune garçon sourd, qui comprenait en observant les gestes et non par les mots. Le corps un navire immobile en posture de méditation devient véhicule d'expression de nos secrets les plus intimes en dansant.
Le Kundalini yoga, dynamique est une préparation idéale pour danser, mettant le corps en condition physique et d'ouverture de nouvelles portes à la perception, dont la danse sera toute imprégnée. On peut dire que l'union des deux techniques réalisée, contribue à tendre vers l'unité du corps et de l'esprit. Et si l'on revient à Shiva Nataraj le danseur suprême, on peut se demander si en fin de parcours, après des milliards de kilomètres de vies parcourus, il n'est plus que de s'asseoir dans le silence d'Une Danse Immobile.
Notes :
(1) Voir le livre « Balayogi l'Alchime du Silence » P. Lescaut éditions Oxus
(2) « Offrande » et « Aum Namo »
visibles en extraits sur youtube (chaîne poumi)
Plus d'infos sur les activités wvw.poumi.com
Auteur : Poumi Lescaut
avec l'aimable autorisation de la Revue Infos-Yoga
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