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Yoga et Soufisme 18/04/2008

Le Soufisme, appelé "le Yoga de l'lslam", à première vue, s'oppose totalement au Yoga. Dès le VIIIeme siècle les Musulmans envahissent l'Inde pour l'asservir et la coloniser; la partition de  1947 n'a pas stoppé les guerres. Le souci de l'Unicité de Dieu et l'interdit des representations du Divin et de l'humain dans l'lslam sont le contraire du polytheisme viscéral de l'Hindouisme.  Pour Jacques Vigne les deux religions semblent aux antipodes.

 

Mais le Soufisme n'est pas l'Islam, comme le Yoga n'est  pas la religion des Brahmanes. Tous les Yogis, comme les Naths, sont sortis de la religion populaire: ils sont entrés dans la forêt et se sont mis en marge de la société, sans plus pratiquer les bains rituels, ni la ceremonie du feu (arati). Et ils ont écrit comment ils remplaçaient les cérémonies au temple par les postures (asanas) du temple de leur corps, comment la respiration (pranayama) était une combustion interieure et que la  méditation (dhyana) était meilleure que les prières de demande intéressée. De même le Soufisme n'est pas l'lslam et a  des origines très diverses : dualisme perse, philosophie grecque, astrologie babylonienne, esséniens juifs, gnostiques d'Alexandrie, hermétisme égyptien, érémitisme chrétien... Les Soufis du monde entier sont aussi tres divers, mais ils ont en commun d'avoir tous été suspectés par l'Islam, persécutés et chassés. En 661, Ali, le gendre du  Prophète, est tué par Abu Bakr, le premier calife et le 10 octobre 680 Al Hussayn ibn Ali, son fils, est tué à Karbala par Yazid le calife de Damas. En 922 al Hallaj est torturé, mutilé, crucifié et dépecé à Bagdad... Ainsi dans deux mondes paralleles, il y a une correspondance certaine entre le Yoga et le Soufisme. Soufis et yogis ont marché côte à côte pendant des siecles sur les chemins de l'Inde. Le soufi, vétu de laine blanche, cherche la sophia-sagesse, le derviche est un mendiant itinérant et le fakir un pauvre qui fait des prouesses. Ils appartiennent â une communaute (TarTqah) et a sa lignée (silsila) comme aux Indes les confréries Chishti, Naqshbandi, Qalandars...

Les Soufis sont les mystiques de l'lslam, dévorés par l'amour de Dieu, Un soufi est celui qui témoigne de la presence divine sous les 70 voiles de la manifestation. Al Birûni, mort en 1048, traduit en arabe les yoga-Sutras de Patanjali et écrit que le soufisme et le yoga c'est la même chose. A partir de là les soufis de Perse Bistâmi et al Ghazali connaissent les Yogis et les chakras. Avicenne (Ibn Sina) est le medecin soufi et le philosophe mystique qui laisse des récits visionnaires d'après le Bouddha. Sohravvardi ecrit "L'archange empourpré" sur la théophanie de la Lumière dans le monde des images suspendues (alam al mithal). Ibn Arabi (1165-1240) a fait connaître les 55 soufis d'Andalousie. Djalal ud-din Rumi (1207-1273) a fondé les derviches tourneurs et nous a laisse 40.000 vers d'amour. Le soufisme n'est pas le Hatha-Yoga, il serait plus proche du yoga dévotionnel de l'amour (bhakti-yoga). Mais les correspondances sont certaines, terme â terme : postures et danse, kirtan et sama, mantras et wassifas, chakra et latifa ...

 

 

Asanas et zikhr

Du point de vue des postures, yoga et soufisme semblent à l'opposé : le yoga travaille avec l'immobilité, faisant tenir une posture équilibree immobile le plus longtemps possible pour stopper le mental, alors que les soufis ont le mçme but par le mouvement et la danse. Mais ils pratiquent aussi la contemplation (shuhûd) et la méditation (fikr), surtout sous forme d'extase.
Les danses giratoires sont des pratiques immémoriales tres anciennes. Le zikhr, ou cercle des derviches tourneurs, a été codifié en 1250 à Konya en Turquie par Rumi. Reproduisant le système solaire, neuf danseurs tournent sans cesse sur eux-mêmes tout en tournant autour du Shaykh qui est leur soleil. lls le font lentement, le plus longtemps possible pour se perdre dans l'azur, main droite vers le ciel, main gauche vers la terre, en entendant l'harmonie des sphères de Pythagore. Soudain sur un soupir du Shaykh, ils s'immobilisent, pliés en deux les bras en croix sur la poitrine et alors c'est le monde qui se met â tourner autour d'eux. S'ils echappent au vertige et à la nausée, ils ont soulevé le voile d'Isis et decouvert que le monde n'est que leur representation. C'est certes une des methodes les plus simples pour avoir l'experience de la Maya, l'illusion de la matière. La forme individuelle est celle du Dhikr ou giration de la tête, qui part en cercle vers la gauche et le bas, dans l'expir et chantant Lâ ilâha (II n'y a pas de Divinite). Puis, dans l'inspir, la tête remonte vers la droite et le haut en répétant ill Allâh Hou (Si ce n'est la Divinité Allâh). Ceci peut être répété toute la journee, en jeûnant le jour, pendant la retraite spirituelle (Khalwâ) de sept â quarante jours.

Mais les Soufis pratiquent aussi d'autres danses traditionnelles selon leur pays d'origine du Khorassan au Mali. Elles peuvent être extrêmement lentes ou très agitées comme a Marrakech. Partout se pratiquent des danses sacrees (zawiyah) comme dans la madhra des Aissaoua en Algérie avec les jeux du fer (transpersions), du sabre qui n'entre pas dans le corps, du feu (saut, marche, jongler), des animaux (serpents et scorpions)...
Dans ce domaine une totale transformation s'est produite. A l'origine se trouvaient la joie et la connexion avec le Divin, que certains nommaient l'extase et le resultat était cette danse d'exultation spontanee involontaire.
Actuellement tout s'est inversé et l'on imite cette danse comme un exercice volontaire, en esperant que cela va engendrer l'état interieur d'enthousiasme (en-theos-me, Dieu en moi).

 

Sama et kirtan

En Yoga existent des kirtans ou chants devotionnels qui explorent l'amour (prema) selon les neuf saveurs (rasa) et les cinq râga pour acceder â la dévotion de la douceur (mâdhurya bhakti) connue des soufis. Les soufis pratiquent des récitations de versets coraniques et de sourates particulières à leur groupe et aussi des invocations d'un nom de Dieu liées aux battements de leur coeur comme  dans l'Hesychasme ou prière du coeur. Mais surtout ils aiment le concert mystique (Sama) qui nourrit l'âme. II s'agit de la musique des anges, car lorsque les anges s'expriment, ils le font en musique. C'est cette musique envoûtante qui a ete utilisée pour forcer l'âme d'Adam à entrer dans un corps humain. Aussi dans le paradis y avait-il un arbre musical, qui jouait la musique du paradis. Quand le chanteur de Sama arrive à la retrouver, tous s'en ressouviennent aussitôt. Cette cantillation  (cante rondo) est tres aimee des soufis indiens comme Isa Jundallah. Mais ce chant d'adoration, de remerciment et d'allégresse doit rester mystique et non profane. II doit être réalisé avec sobriété pour ne pas être dangereux pour les novices. Le concert spirituel ne doit pas être un amusement vulgaire mais mener au ravissement. II utilise la harpe turque, la mandoline (rabab), la célçbre flute de roseau (ney), les tambours (draff et bendaîr) ou le luth sacré (tanbûr) comme dans la musique céleste d'Ostâd Elâhi (Chant du monde)

 

Mantras et Wassifahs
En Yoga le maître (guru) est celui qui, en donnant la parole de puissance ou mantra, accepte un disciple. Un Wassifah est un mantra donne par un maître (murshid) en fonction des besoins de son disciple dans sa progression spirituelle. II doit le repéter 33 fois de suite tous les matins II existe 99 noms de Dieu qui sont peints au plafond du Taj Mahal d'Agra. lls correspondent aux différentes étapes de l'itinéraire mystique avant l'état non-duel de l'identification en Dieu. II faut mettre ces differentes vertus sous l'égide du prophète qui en a le mieux exprimé la manifestation : Gabriel, Adam, Melchisedech, Hénoch, Abraham, Moîse, Mohamed... " Dieu a eu besoin de manifester ses qualités afin de les découvrir" écrit Ibn Arabi. Leur invocation permet de changer de niveau de conscience en sortant de sa conscience personnelle pour tout voir objectivement de l'extérieur dans la conscience impersonnelle. La prononciation exacte et précise du Wassifah par le prophète fait passer du son aux vibrations du crâne puis aux harmoniques qui mettent le cerveau en résonance.Ya Walli, la Maîtrise, est donnee â celui qui en manque, Ya Khader, la Force â celui qui en a besoin, Ya Rahman, l'infinie compassion pour toutes les souffrances du monde Puis avec l'aide de Ya Quddus, le pur esprit ou Saint-Esprit, on peut acceder â Ya VVahhabo, l'épanouissement. L'âme accomplit le pélerinage en partant du monde de la Multiplicité à travers la subsistance (Haqâ) vers le monde de l'Unité. Ya Azim, l'emerveillement de la Gloire divine, l'extase de la Glorification, est la salutation des Soufis qui se rencontrent en disant " Combien glorieusement la Divinité se manifeste â moi a travers vous ".

 

Chakras et Latifâh
Dans le Yoga il y a beaucoup de centres énergétiques: roues (chakras) ou lotus (padmas), depuis Vivekananda, on ne parle que des sept prindpaux chakras du corps énergétique étages le long de la colonne vertbrale de la fontanelle au périnée. Les soufis actuels les connaissent bien et parfois les adoptent, mais leur enseignement secret porte sur un lataîf ou les cinq latifâh.

Le coeur (al qualb), jaune est voué à Adam.

L'esprit (al rûh), rouge est voué a Noé.

Le secret (as-sirr), blanc vient de Moîse, au sein gauche.
Le caché (al khafi), noir vient de Jésus (Isa) au sein droit.

Le plus caché (al akhfâ), vert dédie à Muhammad est au centre du corps.
lls sont parcourus mentalement et respiratoirement lors des litanies et des psalmodies. Puis ils sont percutés par le pouvoir des prophètes, en retention de souffle, jusqu'â trouver" le petit point noir" pour en faire sortir la chaleur et la lumiere qui illumine tout le reste du corps en brûlant les parties corrompues. Alors viennent l'évanouissement extatique (ghaîbah) et le rapt spirituel (jadhbah) ou sahajasamadhi.

 

Même si Yoga et Soufisme ne sont pas la même chose, ils sont très comparables et on pourrait les voir comme des frêres jumeaux. De plus, depuis les temps modernes, les emprunts sont constants, surtout aux Indes ou en Iran. II a même existé un " yoga irano-égyptien " qui a ete enseigne dès 1932 par le Dr. Hanish d'après les Mazdanans, puis vers 1960 par le Dr. De Sambucy et enfin par Babacar Khane de Dakar. De nombreux musulmans introduisent des techniques soufis dans leurs cours de yoga comme Driss Benzouine et, inversement, des soufis utilisent des postures, des respirations (pranayama) et des chants yogis comme Pir Vilayat Inayat Khan (1916-2004) dont j'ai pu suivre les enseignements. Le point de jonction entre le soufisme et le yoga se trouve dans l'Advaîta-Vedanta et le Shivaîsme du Kashmir. La voie de l'Un-sans-second, présentée par Shankara dans l'Atma-Bodha ou l'Ashtavâkra a éte continuée par Schuon, Evola, Jean Klein, Jean-Marc Mantel, Eric Baret... Cette jonction du Yoga au Soufisme a déjà été explorée par Louis Massignon et surtout Rene Guenon, vedantiste mort soufi au Caire ou par Lilian Silburn, specialiste du Shivaîsme du Kashmir devenue disciple d'un soufi Mohan Adhauliya. L'union se comprend par la notion de " souvenir" (pratyabhijna de Ksemaraja), remembrance de sa vraie nature, reprise par les Soufis" tout est dejà là, remember, souviens-toi de la fulguration instantanée de l'Etre.

 

"La seule chose essentielle à dévoiler est sa propre nature :
la lumière de la conscience "  Abhinavagupta

Article de Marc Alain Descamps

avec l'aimable permission de la revue Infos-Yoga

 



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