La malle des Indes | 23/08/2011 |
Il y a quelques années une de mes élèves en Hatha yoga m'annonce qu'elle quitte le Vexin où j'enseigne pour partir s'installer en Bretagne, quelque part entre la forêt de Brocéliande et le Golf du Morbihan, et m'assure que l'on se reverra.
En septembre dernier, elle m'appelle pour me proposer de sensibiliser à l'Inde les enfants de CP et CE1 dont elle est l'institutrice à l'école de La Petite Hirondelle, à Le Cours, près de Questembert. En effet, depuis de nombreuses années je suis invitée avec ma malle des Indes à venir partager ma passion pour la culture indienne auprès des petits, dans le milieu scolaire, les crèches, les festivals consacrés aux enfants. Cette fois- ci je resterai une semaine et m'inviterai chaque jour dans la classe des ces petits bretons.
Je pressens déjà le bonheur ancré, comme toujours avec les enfants, dans cette possibilité de transporter mon univers, celui de la danseuse Maya accompagnée de son éléphante, de sa malle des Indes, de son livre de photos colorées, et de pouvoir composer ensemble cette rencontre. Je dispose de tous les éléments pour les emmener en voyage, mais le voyage reste à vivre et s'il forme, dit le proverbe, la jeunesse, c'est bien parce qu'il exige la malléabilité de l'esprit, l'intelligence de l'adaptation, l'ouverture de la rencontre : bref un yoga de la vie ! Leur maîtresse me remet les clés pour ouvrir la porte des rêves qu'ils ont patiemment nourris depuis la rentrée par leur travail quotidien sur l'Inde, Maya sera la guide. Les voici devant moi, en pays conquis, chez eux dans leur salle de classe. J'accroche une guirlande d'éléphants en tissu à l'entrée de la classe, munie d'une clochette, c'est elle qui annoncera le début et la fin de chaque journée.
Depuis cet univers quotidien de l'école nous sommes ainsi, chaque jour, propulsés à 10 000 kms de là, au pays en forme d'oreille d'éléphant. Dans la pointe de cette oreille, au Tamil Nadu, près de Tanjore, on danse pour les divinités, dessine des kolam tôt le matin, tresse des guirlande de fleurs pour le plaisir de la beauté, on est accueilli par Kundavallenatya, à l'entrée du temple, d'un coup de trompe délicat en signe de bénédiction. Je me présente à eux, tous les jours vêtue traditionnellement de saris différents, de ville ou de danse, d'un penjâbi, des fleurs dans les cheveux, des bracelets colorés tintent à mes poignets, le troisième œil brille sur mon front devant les 27 paires d'yeux des enfants qui ont préparé 16 questions importantes dont ils découvriront eux-mêmes la réponses au fil de nos échanges. Chaque jour, je leur montre un objet de la vie quotidienne qui nous permet d'approcher les traditions tamoules, de parler de la vie de là-bas et d'ici, où l'on évolue essentiellement dans un univers de tracteurs, à la ferme.
Mon livre « Lumière de l'Inde du sud », apporté par le père Noël sert de support pédagogique. C'est dans le palanquin porté par l'éléphante Kundavallenatya que les enfants tirent au sort leur question, ils la couchent le soir en partant de l'école, elle leur touche le sommet de la tête affectueusement le matin. Mais la question qui revient tous les jours sous différentes formes est : - Est-ce que tu y vois avec ton troisième œil ? Pastille rouge ou goutte en forme de flamme, nous avons appris la mudra pour le dessiner sur le front gracieusement, le nom de la poudre kumkum pour matérialiser ce putu (poutou) ou encore tilak, que les femmes mais aussi les hommes et les enfants portent sans que la couleur soit nécessairement reliée au mariage. Je leur explique :
- Le troisième œil est celui qui reste ouvert quand les deux autres se ferment, tentez l'expérience les enfants, fermez les yeux et pensez à Kundavallenatya, vous la voyez ?
- Ouiiiiiiii !
- Très bien et maintenant chantons toujours les yeux fermés et mimons la chanson à Ganesh avec les mains !
Une petite voix dit alors :
-Je suis perdu !
Et de grosses larmes coulent sur les joues du petit garçon assis en tailleur à coté de moi lors de l'atelier corporel de l'après-midi dans la salle de motricité. Je lui demande alors de rouvrir les yeux et de continuer courageusement la chanson accompagnée des gestes, c'est alors qu'il s'exclame en refermant naturellement les yeux :
- Ça y est, je me suis retrouvé !
En quelques minutes les enfants ont pu faire l'expérience de la vie intérieure, celle où le troisième œil peut aller observer dans le silence du cœur, au prix de sensations insoupçonnées à apprivoiser. Cet espace existe donc en chacun, il peut être un espace de création, d'imagination, de rêve, mais aussi de peur et de crainte. En regardant au-dedans, le voyage en Inde promis se révèle être un voyage intérieur pour se trouver ou se retrouver. Les voici en yoga ! Mais l'expérience ne s'arrête pas là, je leur prépare une surprise, danseuse oblige, pour clôturer notre semaine : la salle de motricité un peu vétusté va se transformer en hall de temple pour les accueillir et leur montrer trois danses qu'ils pourront accompagner rythmiquement et gestuellement grâce au travail fait ensemble.
Tandis qu'ils déjeunent à la cantine, j'ouvre encore une fois « ma malle des Indes » pour en extraire des tentures colorées à l'effigie de Ganesha et Shiva et en tapisse les murs. Des pétales de fleurs sont disposés au sol pour délimiter l'espace scénique des tapis de gymnastique où les enfants seront invités à s'assoir. Comme tous les après-midi un bâton d'encens est allumé et piqué au centre de la lampe à huile traditionnelle qui m'a, il y a 2 ans, conduite à mon maître de danse à Tanjore, Kittappa Pillai.
Après avoir transformé la salle, je me transforme à mon tour en danseuse de bharata natyam, comme il se doit : maquillage, bijoux, fleurs, grelots aux chevilles. Rassemblés dans la cour les enfants attendent en file indienne, j'ouvre alors la porte et les découvre tout autant qu'ils me découvrent. Leurs yeux sont émerveillés de voir tant de couleurs et de beauté déployées dans ce lieu habituellement fade et un peu décrépi. Combien de fois ai-je vécu en Inde ce miracle éternellement renouvelé : de la beauté émergeant au beau milieu du quelconque, voir vétusté, environnement. Cette métamorphose concrète prédispose à la magie, à l'illusion pourtant réelle d'une harmonie au-delà des apparences très communes. Garder la possibilité d'un regard neuf, s'en nourrir, remplit le cœur et nous prédispose au contentement qui, à son tour, conduit à la joie et celle-ci au partage. Tout cela je le redécouvre avec les enfants qui immédiatement calent leur attitude en accord avec l'environnement présent, c'est un autre espace, un autre temps, une autre Maya qui se présentent à eux, et ce sont d'autres enfants qui reçoivent et donnent à leur tour à la hauteur de ce qu'il perçoivent. Les voici marchant silencieusement sans qu'aucune discipline ne leur soit imposée, sur la pointe des pieds, les mains jointes et légèrement penchés vers l'avant esquissant déjà dans leur gestuelle le salut indien naturellement, en remerciement. De mon côté c'est aussi beaucoup d'émotion directe, avant même de danser je suis au cœur de l'Inde où intérieur et extérieur se répondent, sans heurts, voilà pour moi la plus belle définition du sacré, cette non rupture entre ce qui est donné et reçu, intuitivement fluide, une pulsation d'amour sans limite temporelle. Tandis que la musique monte pour la première danse, les enfants sont assis en tailleur, le dos droit, sthirasukham asana s'impose à eux confortablement, l'attention est recrutée, l'observation va prendre place, nous allons goûter ensemble la saveur de l'unité. Bienvenue en yoga !
Apres leur avoir offert la danse, je recevrai à mon tour un kolam de mots présenté sous forme de mobile reprenant tout le vocabulaire que nous avons appris ensemble durant la semaine, il tourbillonne depuis dans ma salle de danse où je m'entraine. Cette semaine indienne nous a donc offert à tous un espace de rencontre avec l'autre, les autres et les autres nous-mêmes. Costumes, gestuelle, chansons, coutumes, couleurs, intériorité, joie de la connaissance et richesse du partage avec les parents le soir après l'école sont quelques éléments concrets abordés. Les enfants ont pu être initiés à la concentration, à l'écoute des sensations, à l'observation intérieure depuis la salle de classe.
Tout ceci a été vécu dans le respect de l'instant présent, composant les journées comme l'on peut construire une séance de yoga, en s'appuyant sur la réponse des enfants à mes propositions. La leçon été partagée et l'enrichissement réciproque. Il n'y a eu qu'un pas danse, offert par la grâce du yoga de la vie !
Auteur : Maya
avec l'aimable autorisation de la revue Infos-Yoga
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