Esprit es-tu là ? | 02/01/2012 |
Pour les frères Jacques, il ne fait aucun doute que l'esprit se réfugie dans le petit bout de la queue du chat, celui qui nous asticote, alors que le médium cherche en vain à le contacter...
D'où cette grave question : "Qu'est-ce que l'esprit ? Où le trouver ? Qu'est-ce que la spiritualité ?
Des mouvements religieux jettent une bombe dans un cinéma et dans les locaux d'un journal. Ils empêchent la diffusion d'un dessin animé et d'une pièce de théâtre. Ils imposent aux femmes le port de certains vêtements, leur interdisent de conduire une voiture et de se déplacer.. .Tout cela au nom de Dieu, du respect du sacré, de la protection de l'Esprit Saint !
Répondre à leurs arguments requiert de pouvoir donner une définition claire de ce qu'est la religion face à la spiritualité. Ou encore de ce qu'est « Dieu » et de ce qu'il ne saurait être.
Ceux qui sont la cible des intégristes n'osent pas utiliser ce mot. Ils défendent la liberté de penser, le respect de la personne, la charité. Mais c'est là justement que se trouve leur faiblesse. Si une autre définition de Dieu était donnée, à partir de la dimension spirituelle, peut-être réussiraient-ils à se faire entendre. De toute évidence, pour les intégristes, leurs idéaux, qui n'osent pas se référer ouvertement à Dieu, ne sauraient avoir aucun poids face à « Sa volonté », telle qu'ils la comprennent. Pour la plupart des gens, si la notion de religion est claire - en tant qu'institution - celle de spiritualité reste une vague intuition. On sent que jeter des bombes au nom de Dieu est interdit, mais on a du mal à dire pourquoi, surtout face à certains textes qui semblent l'autoriser. On écoute un morceau de musique et soudain, on a les larmes aux yeux. On est propulsé dans une autre dimension, pourtant il s'agissait d'une œuvre dite « profane » et en l'écrivant le compositeur ne pensait nullement au Coran ou à la Bible.
A force de réfléchir, j'ai fini par trouver trois critères permettant de définir la spiritualité, et donc d'invalider la religion quand elle trahit le spirituel. On entre dans le domaine de la spiritualité quand s'effacent les barrières illusoires qui créent de la séparation. La séparation peut être de trois ordres. Il y a la séparation entre l'être humain et « Dieu » quel que soit le nom qu'on lui donne (transcendance, Brahman, Nature de Bouddha, Soi, etc.) Là où la plupart des religions s'efforcent de maintenir une stricte distinction entre l'humain et Dieu (dualité) entraînant la peur, l'obligation d'observer certains rites et l'adhésion aveugle à des dogmes, sous peine d'être puni, la plupart des mystiques finissent par proclamer l'unité de l'humain et du divin (non dualité). Cette unité n'était cachée que par l'ignorance, les passions, la paresse, l'oppression du clergé, la lecture erronée des textes, etc. Cette spiritualité pourrait s'appeler la spiritualité verticale. Elle relie le « bas » et le « haut » non par un pont, ou par une élévation, mais en démontrant que seul le mental avait séparé le bas et le haut. Plus on cherche dans les profondeurs de soi, plus on trouve le tout autre. La plupart des religions orientales se sont focalisées sur cette approche (Tu es Cela. Découvre ta vraie nature !) Mais les mystiques chrétiens ou sufi qui l'ont aussi expérimentée, sont arrivés aux mêmes conclusions, bien que leur parcours ait souvent été plus douloureux : persécutions, excommunications, bûchers... D'une manière générale, les religions du livre n'encouragent pas vraiment la spiritualité verticale dans sa radicalité. La séparation doit subsister... et la puissance des églises aussi...
Il y a ensuite la séparation illusoire entre l'humain et l'humain. Tout progrès spirituel encourage à ressentir l'autre comme un frère ou une sœur, pousse à écouter ses paroles avec respect, à répondre à ses besoins, à sentir ses douleurs, à le protéger, l'éduquer, le nourrir... Cette spiritualité pourrait s'appeler la spiritualité horizontale. Pour le coup, dans ce domaine, ce sont les religions du livre qui semblent remporter la palme. Rejoindre le Christ, c'est rejoindre les plus pauvres. Pour plaire à Allah, le musulman doit absolument pratiquer la charité (qui est l'un des cinq piliers de l'Islam). Le juif doit protéger la veuve et l'orphelin. Evidemment le Bouddhisme et l'Hindouisme insistent aussi sur la compassion, mais cet impératif doit rester lié à celui de s'être libéré d'abord soi-même (spiritualité verticale) de peur que l'action et la pensée charitable, déformées par des parasites égotiques, ne soient maladroites et inappropriées. Du fait de leur méfiance envers la spiritualité verticale, (vue soit comme une impossibilité soit comme d'un orgueil satanique) le Christianisme et l'Islam ont insisté sur la spiritualité horizontale : dans les pays asiatiques, ce sont d'abord les chrétiens qui prennent en charge la lutte contre la pauvreté, l'alphabétisation, le soin des malades. Dans les banlieues, les actions de solidarité des groupes de musulmans prosélytes font parties des facteurs principaux de recrutement.
En Inde, on peut distribuer de la nourriture aux pauvres dans les ashrams lors de grandes fêtes, mais ce n'est pas là leur but premier... Une grande partie de la culture asiatique considère que si quelqu'un est dans la misère, c'est son karma. Il y a enfin la séparation illusoire entre l'humain et la nature, constituée par les océans, les plantes, les animaux. Cette spiritualité pourrait s'appeler la spiritualité circulaire. Elle était défendue en premier par les religions qui se sont vues qualifiées de vulgaires pratiques chamaniques et de mythologies archaïques, par les anthropologues et les colonisateurs. Historiquement, ces religions n'ont pas eu de chance, parce qu'elles ne touchaient que de petits groupes ethniques et des tribus séparées. N'appartenant pas à de vastes empires à la technologie triomphante et à la culture écrite, elles ont été reléguées au rang de balbutiements, de superstitions, et d'enfantillages. Pourtant il était avéré qu'elles pouvaient donner lieu à des guérisons inexplicables, développaient la capacité de lire les rêves, favorisaient les dons de clairvoyance, et permettaient de survivre dans un environnement hostile. Pour les religions colonisatrices, il était évident que penser que le vin de messe se transforme en sang tout en restant du vin n'avait rien d'un enfantillage comparable, que l'Océan s'était évidemment ouvert pour laisser passer les Hébreux et que Mahomet s'était envolé sur son cheval !
La spiritualité circulaire essaye de dissoudre l'illusion d'une barrière entre l'humain et l'animal : il faut incorporer sa puissance, adopter ses qualités, le remercier de s'être sacrifié pour nourrir la tribu ; entre l'humain et la plante : il faut éviter de cueillir certaines d'entre elles et en utiliser d'autres pour guérir ou passer dans un état de conscience élargie ; entre l'humain et les éléments : il faut apprendre à sentir où se dissimule une source, à trouver son chemin, à déchiffrer la parole du vent, à interpréter les signes envoyés par la nature. Ayant vu récemment le film magnifique de Verner Herzog « La grotte des rêves perdus » qui montre en 3D les peintures rupestres de la grotte Chauvet, remontant à 37 000 ans, j'en suis ressortie fermement convaincue que la spiritualité horizontale avait été la première pratiquée par les humains et qu'elle était l'ancêtre de toutes les autres. A cette époque, ne possédant que quelques lances pour chasser, il était évident que les êtres humains avaient dû développer une empathie médiumnique avec leur environnement et comprenaient les animaux par télépathie. Sinon, vu leur technologie dérisoire, ils seraient sans doute morts de faim !
Les religions du Livre ont fait une impasse quasi total sur la spiritualité circulaire. Elles l'ont combattue bec et ongles, en arrachant les arbres sacrés, en bouchant les sources, en interdisant les rituels de fertilité. Pour elles la création était certes l'œuvre de Dieu, mais elle était juste à admirer en tant que telle, avant d'être nommée, dominée, exploitée, réduite au rang de vulgaire matière dénuée d'esprit. Dieu habitait ailleurs, au royaume des deux. S'élever, c'était quitter cette terre (de larmes). Les païens (romains et grecs) avaient encore un lien avec le caractère sacré de la nature, (le mot païen vient du latin paganus, qui signifie paysan). Le paysan devint l'ennemi. Par contraste, le christianisme se voulait une religion urbaine condamnant les pratiques campagnardes et méprisant cette terre. Cet aveuglement a mené aux dérives actuelles, à la surexploitation de la planète, à l'élevage monstrueux des animaux en batterie, à la catastrophe écologique. Après deux mille ans d'égarement, les écologistes tentent - un peu tardivement - de prendre la défense de la nature en clamant haut et fort qu'elle est nous. Cependant, leurs revendications conservent toujours un caractère économique. Elles ne vont jamais jusqu'à rendre à la nature son caractère inspiré, sacré, divin, et pour tout dire religieux.
En résumé, les religions orientales ont plutôt privilégié la spiritualité verticale (Reliez-vous à Dieu !) les religions du livre la spiritualité horizontale (Reliez-vous aux autres !) et les chamanismes à la spiritualité circulaire (Reliez-vous à la nature !). « Reliez-vous » dans le sens radical de « soyez UN avec ». Ce classement est évidemment sommaire, car la réalité est toujours plus complexe. On trouve en fait des bribes des trois orientations spirituelles dans toutes les religions : Un sufi qui cherche l'extinction en Dieu est proche d'un maître hindou védanta ou d'un moine zen. Un François d'Assise qui remercie frère-soleil et sœur-lune est proche d'un shaman d'Amazonie. Une Ma Amritananda Moyi (Amma) qui fait construire des centaines de maisons pour les pauvres est fort proche d'un François de Sales...
Cette définition de l'expérience spirituelle, comme expérience du « non-deux » appliqué à trois directions, permet de comprendre mieux pourquoi une femme qui arrose des fleurs en leur parlant est à cet instant dans une dimension spirituelle. Pourquoi un humain qui trace un coup de pinceau parfait sur une feuille blanche peut traduire la présence du divin (il est soudain « un » avec le papier). Pourquoi un vieux syndicaliste ayant lutté pour garantir à des ouvriers misérables des conditions de vie décentes, peut avoir plus de conscience spirituelle qu'un curé au cœur sec... Les juifs disent du reste que le Dieu vivant est présent à chaque fois qu'un lien se noue entre deux éléments : le donneur et le receveur (par la charité), l'épouse et l'époux (par l'acte sexuel), le maître et l'élève (par la transmission), etc. Toute relation deux qui devient une relation UN est spirituelle en essence. Elle fait jaillir « Dieu » non comme un nom mais comme expérience, même si son nom n'est jamais prononcé, et même si cette expérience n'est pas consciemment reconnue comme étant « LUI » (Jésus, Allah, YHVH, Le Brahman, Le Tao, la Nature de Bouddha), mais comme étant simplement précieuse. Cette définition de la spiritualité ternaire étant donnée, il reste à définir le terme de religion, ce qui se révèle plus simple : la religion est une construction qui a une dimension physique (nourriture, pratique de postures, contrôle de la sexualité...), sociale (fêtes, rites) , intellectuelle (textes, dogmes), affective (sentiment de crainte, d'adoration, de protection vis à vis d'une représentation de la transcendance), médiumnique (pouvoirs divers, charismes) et enfin éventuellement spirituelle : expérience du non deux...
La spiritualité est une expérience, la religion une institution. Avec ces définitions on peut voir que la pratique du yoga en Occident s'est dépouillée de tous ses attributs religieux pour se concentrer sur une démarche spirituelle : se relier à son propre corps et à son propre esprit pour pouvoir se relier différemment à la vie, aux autres et à la transcendance. Nombre de religieux et de religions n'ont rien de spirituel : on pratique non pour se relier, mais pour se séparer, pour se sentir autre, pour définir un ennemi. On renforce les barrières entre l'autorisé et l'interdit, le pur et l'impur, le profane et le sacré, le divin et le non divin. Les religions peuvent déboucher sur une expérience spirituelle (c'était là leur but premier), si elles conservent de la tolérance envers l'autre et se servent uniquement des six premières étapes pour atteindre la septième. Mais cela n'a rien d'automatique, et l'on constate plutôt le contraire ! De nombreux pratiquants se trouvent satisfaits avec des rites et des interdits alimentaires sans jamais aspirer à une rencontre ici-bas avec « leur créateur » (sauf sous cette forme de prohibitions). Ils le rencontreront ailleurs, plus tard, au paradis. Jeter des bombes peut être prétendument religieux, mais ne peut prétendre à aucune spiritualité. Donner à un mendiant peut être religieux et spirituel à la fois ou simplement spirituel (car bien des gens se sentent un avec l'autre, sans être passés par un ordre de Dieu : sans le savoir, ils vivent une expérience de la dimension charitable de « Dieu » sans lui donner de nom.).
La spiritualité peut se déclarer totalement athée, alors même qu'elle vit « Dieu » dans sa dimension indescriptible (dite apophatique), comme un sentiment de communion diffus. Le religieux spirituel est fort respectable, mais le religieux non spirituel (celui qui envenime les séparations) doit être intellectuellement démasqué comme une caricature de la volonté de Dieu.
Si Dieu est le généreux, le compatissant. ..
Aime autant que Lui. Par tous les moyens et en tout lieu, Relie.
Auteur Airiane Buisset
avec l'aimable autorisation de la revue Infos-Yoga
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