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Yoga et alimentation 04/04/2018

Deux oiseaux aux plumages d'Or


Dans les upanishads, textes composés entre 800 et 200 avant notre ère, la faim et la nutrition sont souvent utilisés comme des métaphores susceptibles d'éclairer les liens que l'homme tisse avec le monde et avec le divin. Une célèbre parabole y raconte qu'un jour, deux oiseaux resplendissants d'un merveilleux plumage d'or sont perchés sur les branches d'un arbre : l'un d'eux déguste les doux fruits du figuier, tandis que l'autre, témoin, le contemple sans manger. L'oiseau qui mange est tantôt heureux, lorsqu'il goûte un fruit sucré, tantôt malheureux, s'il mange un fruit amer. Tandis qu'il expérimente ainsi alternativement plaisir ou dégoût, l'autre oiseau, contemplant tout ce qui l'entoure, est serein et paisible : sans manger, il est déjà rassasié. Un jour, ces deux compagnons inséparables se révèlent être un seul et même être et se fondent dans la brume diaphane d'un grand flot de lumière (1).


L'oiseau qui mange et tourbillonne dans tous les sens serait l'être humain que nous sommes, occupés en permanence dans des activités multiples pour remplir une vague sensation de « vide », nous « nourrissant » des peines et des joies de ce monde. L'autre oiseau, celui qui regarde, calme et silencieux, serait l'être humain lorsqu'il réussit à se hisser au-delà de l'immédiateté de son expérience charnelle et à goûter pleinement l'essence savoureuse de l'existence. Ce récit frappant a notamment inspiré la philosophe Simone Weil selon laquelle, comme les deux oiseaux des upanishads l'illustrent, il y aurait essentiellement deux manières de se rapporter au monde qui nous entoure: « regarder » et « manger ». Selon Simone Weil d'ailleurs « la grande douleur de l'homme commence quand ces deux attitudes se séparent »? . Mais, ces deux activités sont-elles aussi incompatibles qu'elles ne le paraissent ? N'existe-t-il pas une connexion possible entre elles ?


De l'alimentation dans le Yoga


Héritier à certains égards des réflexions contenues dans les upanishads, le Yoga est précisément une discipline dont le but est d'identifier ces deux attitudes comme étant toutes les deux présentes dans l'être humain sous la forme de deux dynamiques, qui loin d'être opposées, se complètent l'une et l'autre. Tout est une question de choix, ou plutôt d'intention. Soit nous agissons guidés par la « faim », dans la croyance qu'il nous manque toujours quelque chose, soit nous évoluons en prenant conscience de la plénitude inhérente à la Vie qui nous « nourrit ». Ceci transparaît dans les textes sanskrits sur le yoga qui mentionnent la place de l'alimentation dans la vie du yogi. De leur lecture détaillée se dégagent deux grands principes :
Premièrement, plutôt que des directives sur ce que le yogi doit manger ou pas, nous y trouvons des orientations sur comment il doit manger. Ainsi, la « Petite Lampe du Yoga » (Hatha yoga pradîpikâ, XVe siècle), texte fondateur du Hatha-yoga et duquel découlent la plupart des yogas « modernes », dit qu'il est essentiel que le yogi mange en laissant un quart de l'estomac vide (HYP, 1.58). Parmi les obstacles qui peuvent survenir dans la pratique de yoga se trouve justement l'excès de nourriture (HYP, LIS), ce sur quoi insiste aussi la Bhagavad Gîta (IIe s. avant. J.-C., IIe s. après J.-C), autre grand texte de yoga : « le yoga n'est pas pour celui qui abuse de la nourriture ni pour celui qui s'abstient » (BG, 6.16).


Deuxièmement, la nourriture du yogi doit idéalement assouvir aussi bien la faim du corps que celle de l'esprit. Elle doit être « onctueuse et savoureuse » (HYP, 1.59-60), c'est-à-dire, capable de fournir au corps physique - que les upanishads avaient justement nommé l'« l'enveloppe-fait-de-nourriture » (anna-maya-kosha)-, ses éléments constitutifs. Elle se doit aussi d'être « appétissante, désirable et plaisante pour l'esprit » (HYP, 1.63). Deux exigences sur lesquelles insiste également le « Chant du Bienheureux » où sont recommandés au yogi « des aliments juteux, gras, riches et qui réjouissent le cœur » (BG, 17. 8-10).


Ces remarques nous enseignent que certaines habitudes alimentaires, comme les excès de nourriture ou les régimes à outrance, constituent des agressions à notre bien-être en nous privant d'un droit fondamental : celui de tirer un vrai plaisir du bonheur simple de manger. Aussi, il
s'avère inutile de prétendre définir l'alimentation « idéale » du yogi. Le yoga, en tant que pratique fondée sur l'observation quotidienne de nos attitudes mentales automatiques et de nos gestes inconscients, nous montre précisément l'importance d'écouter les signaux que le corps nous envoie et de respecter ses particularités et ses limites. Il serait donc plus juste de développer un « yoga de l'alimentation », dans le sens d'une prise de conscience progressive du corps qui amènerait à plus d'unité et de plénitude, dans l'acte de manger.


Manger en Pleine Conscience


« Dans un grain de sable voir un monde
Et dans chaque fleur des champs le paradis,
Faire tenir l'infini dans la paume de la main

Et l'éternité dans une heure. »
William Blake



« Manger en Pleine Conscience » (Mindful Eating) * propose une dynamique de prise en main de l'alimentation fondée sur les principes de la Pleine Conscience (Mindfulness) : l'observation bienveillante et non jugeante des sensations, des pensées et des émotions qui surgissent au cours d'un repas. Manger en pleine conscience nous invite à goûter, dans une activité essentielle au maintien de la vie comme est l'acte de se nourrir, un état de satisfaction joyeuse. Lorsque nous étions enfants, les repas étaient des simples pauses de ravitaillement. C'est en grandissant, que la nourriture se met à remplir d'autres fonctions comme celles de récompenser, punir, calmer, procrastiner ou divertir. L'exercice de la Pleine Conscience en mangeant nous amène à regarder, comme l'oiseau qui observe serein et sans juger, les mécanismes qui nous poussent à manger. Plutôt que de nous mettre, comme l'oiseau qui mange, à « picorer » le premier aliment que nous trouvons, une brève méditation ou des exercices de yoga doux, peuvent nous aider à identifier l'émotion qui est derrière la sensation de « faim » : tristesse ? colère ? anxiété ?... Une fois que nous identifions le besoin que nous ressentons nous devenons capables de mieux y répondre et ainsi de mieux prendre soin de nous-même.


Comment donc peut-on mettre en place concrètement cette pratique ? En mangeant en étant pleinement présents à ce que nous faisons. Après avoir expérimenté le fait de manger une petite quantité de nourriture en pleine conscience, Nathalie nous confie son expérience : « J'ai senti ma bouche inondée de saveurs et tout mon être submergé par la joie ». Les larmes aux yeux elle poursuit : « Comment est-ce possible qu'un si petit objet » - c'était un raisin sec -, « puisse être si totalement satisfaisant ? ». Parce qu'il a été « accueilli » par le corps dans un état d'unité : regarder  et  manger étaient enfin réunis.


Lors d'un dîner en pleine conscience organisé entre amis, Philippe, après avoir dégusté l'entrée, partage son expérience : « Je n'avais jamais mangé comme ça ! Je fais en général passer les aliments presque intacts de ma bouche à ma gorge ». En effet, quand nous mangeons en Pleine Conscience, nous le faisons comme un connaisseur goûte le vin : inhalant l'odeur et savourant son bouquet. Puis, on ralentit, on prend le temps de mâcher les aliments, de saliver, de poser ses couverts entre deux bouchées. On peut ainsi apprendre à s'arrêter de manger quand on arrive à satiété, sans être frustrés, au contraire, avec une délicieuse sensation de satisfaction et de plénitude. Après le plat principal, Cécile, une autre convive, dit : « J'ai découvert la sensualité de ma bouche et le fait que ma langue a presque une vie autonome dont je n'avais aucune idée ! ». Ce à quoi Magali répond avec émotion : « J'ai eu le sentiment de vivre un voyage à travers les sensations. Avec ses moments de joie, de découverte, ses instants de ferveur aussi. Bref, un condensé de vie ! ». Arrivés à la fin du dessert, l'un des invités partage son expérience: « J'ai senti qu'on pouvait se nourrir au plus beau sens du terme et qu'on se devait ce respect à soi-même ».
Après ces heures savoureuses passées ensemble, il est très beau de voir les convives partir joyeux et calmes à la fois, nourris au sens propre et au sens figuré. Certains d'entre eux évoquent même, bien longtemps après cette expérience, qu'ils se surprennent dorénavant « à ne plus prendre systématiquement de dessert, comme si le petit « plus » (un « dû » pour tous nos tracas ?) ne s'imposait plus. « II est là si je veux, il n'est pas indispensable. C'est comme un lien qui se défait doucement ».


Aujourd'hui, en ouvrant un fruit acheté au marché, prenez le temps de respirer avec bonheur son parfum avant de goûter à sa chair fondante. Au-delà du fruit, devinez l'arbre entier, avec ses feuilles, ses profondes racines qui plongent loin dans la terre et dont la sève nourrit les branches. Et au-delà de l'arbre, ce frère humain qui a pris soin de lui, qui a su faire mûrir ses fruits et qui les a cueillis. Manger en Pleine Conscience, c'est se reconnecter à l'essentiel, se relier au vivant, en soi-même et dans le monde.


ENVISAGEONS ENSEMBLE UNE NOUVELLE RELATION À NOTRE ALIMENTATION !
N'ESSAYEZ PAS DE TOUT CHANGER. UN PETIT CHANGEMENT AUJOURD'HUI PEUT DEVENIR UN GRAND CHANGEMENT DANS L'AVENIR.


Vous pouvez essayer de :

  • Manger un repas par jour un peu plus lentement, en silence, avec l'attention portée aux sensations présentes dans votre bouche.
  • Manger les trois premières bouchées d'un repas en silence, petit à
    petit, en pleine conscience
  •  Poser les couverts entre les bouchées, ou poser la nourriture si vous
    mangez avec les doigts.
  • Engagez-vous à ne pas boire ni manger si vous n'êtes pas assis(e). À   moins   que   les   circonstances l'exigent ainsi.
  • Faites confiance à votre corps pours'autoréguler
  • Avant de manger fermez les yeux et demandez-vous : de quoi ai-je vraiment envie
  • Choisissez de manger des aliments qui à la fois apportent du plaisir et nourrissent le corps en utilisant tous les sens pour explorer, savourer et goûter.
  • Prenez conscience des réactions face aux aliments (agréables, désagréables, neutres) sans jugement ni critique.
  •  Portez délibérément votre attention aux aspects positifs et nourrissants présents lors de la préparation et de la consommation d'un repas en  respectant sa  propre sagesse
    interne.

Ananda Ceballos est docteur en études Indiennes et psychologue spécialisée en troubles du comportement alimentaire. Elle enseigne le yoga depuis 18 ans et est chargée des cours à l'université Complutense de Madrid. Elle donne également des conférences sur l'histoire et la philosophie du yoga en tant que formatrice dans plusieurs écoles de La fédération nationale des enseignants de yoga depuis 2004. Elle tient une chronique régulière « Les Perles d'Ananda » dans le magasine « Esprit Yoga ». Formée par Dr. Jan Chogen Bays, Ananda est instructrice du programme « Mindful Eating » qui consiste à appliquer les principes de la pleine conscience (mindfulness) à l'alimentation.


NOTES
1 Le même récit, auec des petites uariantes, est rapporté par la Mundaha Upanishad, par la Suestauatara Upanishad et par la Katha Upanishad.
2 Cadeau Marie-Charlotte, « Simone Weil : sauoir qu'on a faim », Journal français de psychiatrie 2009/1, n° 32, p. 32.
3 Chojen Bays Jan, Dr., « Manger en Pleine Conscience ; la méthode des sensations et de émotions », Paris, 2009, Les Arènes.
4 Ces témoignages sont issus des personnes qui ont participé aux ateliers et stages organisés par Ananda Ceballos, créatrice de YOQME. Web : iDuuLU.yoome.fr fies prénoms ont bien sûr été changés)


BIBLIOGRAPHIE
Kobat-Zinn Jon (Dr.), Au cœur de la tourmente, la pleine conscience, Groupe De Boecte, Paris, 2009
Chojen Bays Jan (Dr.), Manger en Pteine Conscience, Les Arènes, Paris, 2013
Nhat Hanh Thich, Sauoureg. Mangeg et uiueg en pleine conscience, Guy Trédaniel,
Paris, 2011
Eisenstein,Charles, Le Yoga de l'Alimentation, Le Courrier du Liure, Paris, 2009
Kabatjnich Ronna, The Zen of Eating, Be-rhley Publishîng Group, New York, 1998
Wansink Brian, (Dr.), Conditionnés pour trop manger, Thierry Souccar Ed., Vergège, 2009
 

Auteur : ANANDA CEBALLOS

Site :  www.yoome.fr


Avec l'aimable autorisation de la Revue Infos Yoga



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