Autobiographie d'une pilote nonordinaire | 05/07/2018 |
Pour extrait chapt 10 Calédonie, pilote de Boeing, suivez ce lien...
Bruxelles. Changement de décor. Métropole nouvellement européenne. Hôtel de luxe et compagnie aérienne. De nouvelles procédures, un nouveau Manex, de nouvelles SOPs : étude, entraînement simulateur, tests, puis en ligne. Adaptation au réseau, questions, réponses, re-tests puis lâchée. Tout est expédié à la vitesse de la lumière et me voilà propulsée dans un ciel de folie…
Nous ne sommes plus dans l’immensité bleue, à passer un message radio toutes les heures en train de survoler nonchalamment des chapelets d’îles paradisiaques. Dès les premiers vols, je suis terrassée par le trafic, la vitesse et la radio. Nous changeons de secteur radar toutes les trois minutes et passons notre temps à échanger des messages codés. Il y a des milliers d’avions dans le ciel, partout, à gauche, à droite, en haut, en bas ; on se croise, on se chevauche, on se superpose, on se suit à quelques secondes d’intervalle, à plus de huit cents kilomètres heure. Quel est ce monde ?
Je découvre l’aviation en Europe. Et ça ne me plaît pas du tout. Où est le pilotage ? Où est le vol ? Plus aucune liberté dans ce ciel barbelé. C’est le règne du stress et de la pression car, en plus, il faut aller vite, gagner du temps pour faire gagner de l’argent à la compagnie, en consommant moins de pétrole. Challenges de chaque instant : embarquement passagers, turnover le plus rapide, point de répit, point de repos. Des vols à un rythme cassant, fulgurant, encore jamais vécu. Jours nuits, nuits jours, je vis et dors dans les cockpits tandis que montent les tensions dans la nuque et les épaules. Les navires célestes devenus autobus radarisés m’emportent dans un ciel hérissé de dangers, où la moindre digression peut être fatale. Moi, je voulais voler. Juste voler. Dans les horizons illimités où les mers se mêlent dans une brume cotonneuse, au ciel... Le pur plaisir de voler se désintègre...
*
Heureusement je ne suis que de passage dans cette galère. Le temps de gonfler mon compte en banque, le temps aussi de quelques expériences totalement inattendues et assez déroutantes... Peut-être ma véritable raison d’être ici ?
Première semaine de mon séjour à Bruxelles : installée sommairement dans un hôtel gris et sombre pour hommes d’affaires sans goût ni finesse, je tombe dans un profond désespoir, je ne comprends plus rien à rien. Je m’assoie sur la moquette rugueuse et, le visage couvert de larmes, je questionne ardemment l’univers… « Mais enfin, c’est quoi l’amour ? » Car mon prince à la cabane près de la rivière me manque cruellement. Pourquoi l’ai-je quitté ? Cette fois je n’ai personne à accuser de nous avoir séparés. Tous deux libres comme l’air, nous avons pourtant stoppé net notre romance à peine ébauchée... Pourquoi ?
« C’est quoi l’amour ? Dis-moi Univers ! Dis-moi ! » Soudain arrive une image : des milliers de bulles excessivement brillantes sont liées par des cordons de lumière étincelante et un message fulgurant éclate : « L’amour, c’est ce qui relie tous les êtres. » Toute l’image est imprégnée d’une blancheur époustouflante et la phrase énigmatique me parvient très clairement : « L’amour, c’est ce qui relie tous les êtres. »
Je reste un temps hébétée, en contemplation devant cette image, devant ces signes qui, bien que mystérieusement apparus, me semblent parfaitement limpides. Le gris de ma chambre est éclipsé, la lumière seule, luit, avec l’amour : Ce qui relie tous les êtres… Une mégaremise en question s’opère dans les coulisses du mental, ajustements subtils. Mes histoires de princesses et de princes charmants se désagrègent. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. L’amour est bien plus que cela. C’est fort, ça vient d’une source, de La Source.
*
Plus tard, alors que je contemple en rêvassant mes valises posées depuis peu dans un meublé de Zaventem avec vue sur l’aéroport, le bleu passé du lit, le jaune terne des rideaux, la béance muette de l’armoire, la platitude immobile de la table m’arrosent d’une douche glaciale : le vide de ma vie de pilote nomade et solitaire éclate, douloureux. Que fais-je dans cette vie dépourvue de sens ? Après quoi est-ce que je cours ainsi ? D’un seul coup je sombre dans un puits noir sans fond, aspirée par le tourbillon de mes pleurs.
Brusquement, une fusée s’allume en bas de ma colonne vertébrale ; une explosion de feu ascendante et brûlante qui, lorsqu’elle arrive en haut de ma tête, éclate comme un champignon nucléaire, un énorme chou-fleur, qui bouillonne, s’étale, s’étire et bouillonne encore. Toute notion d’espace disparaît. Je ne vois que le chou-fleur au-dessus de ma tête, qui tempête et se projette, d’ailleurs je n’ai plus de tête. Je ne sens que le flux de cette fusée dans mon dos, comme un jet extrapuissant d’énergie lumineuse. Mais bien sûr je n’ai plus de dos, je n’ai plus de corps. Ça dure, ça dure, ça dure, mais je ne sens plus le temps, je ne perçois que la colonne d’énergie qui pousse et la fleur-chou-fleur qui fulmine !
Puis, à un moment donné, ça disparaît. Je reste choquée, interpellée par cet événement étrange. C’est bien plus tard que je comprendrai…
*
« Le cours le yoga, c’est bien ici ?
– Bonjour, oui c’est là, entrez !
– Je m’appelle Mirabelle Forsythia, j’ai appelé ce matin.
– Oui, bien sûr, je suis André, bienvenue Mirabelle, le cours commence dans une dizaine de minutes, installez-vous, soyez confortable ! »
Ce fut ma priorité, une fois les impératifs professionnels terminés : trouver un cours de yoga. Et me voilà dans une salle plutôt étroite et basse de plafond, au dernier étage d’une bâtisse bruxelloise. Yoga et Harmonie. Le nom me plaît. Les fenêtres sont masquées par des rideaux beiges qui semblent absorber tous les bruits, un parfum d’encens flotte dans l’air, une atmosphère bienfaisante. Bientôt d’autres étudiants arrivent, me saluent d’un sourire paisible. Je me sens bien, comme à la maison. Sauf que je n’ai pas de maison. Alors comme chez Jaya à la Réunion.
Le cours commence et j’apprécie immédiatement l’enseignement d’André. Asanas profondes, mouvements précis, pranayamas intenses et encore des relaxations à la fin. J’adore. De plus André ponctue ses instructions de petites phrases qui éclairent nos mouvements d’une dimension philosophique. La profondeur du yoga, que je pressens depuis le début, cette caverne d’Ali Baba aux mille merveilles, continue de dévoiler ses bienfaits pour mon plus grand bonheur. Ainsi je peux garder intense la connexion nouvellement établie tout en poursuivant mes trépidantes activités professionnelles. Car les vols en Europe tiennent réellement d’un délire qui n’a plus rien à voir avec la passion que j’ai pour mon métier. Mais j’assure. J’ai mon objectif. Dans quelques mois, quelques semaines, l’Australie.
*
Rapidement cependant, entre mes échecs sentimentaux et une vie décalée à l’excès, je sens le besoin de parler avec André, qui me propose son aide sous la forme de travail sur soi. Tiens ? C’est quoi ? Cela semble être exactement ce dont j’ai besoin alors que les douleurs de mon corps s’entrechoquent avec celles du cœur dans un chaos incohérent auquel je ne comprends décidément rien. Je voulais seulement être heureuse, moi ! Est-ce donc si compliqué ?
Un rendez-vous est pris avec André et me voilà le jour dit dans la petite salle sous les combles du vieil immeuble. Je m’assoie à un angle sur un joli coussin brillant. André est dans l’autre coin, à deux ou trois mètres de moi, sur une couverture marron, en position du lotus. Il m’accueille avec un sourire bienveillant. Un châle vert pâle enveloppe son corps trapu et, d’un signe, il m’invite à me couvrir avec un autre châle bleu ciel plié à mes pieds. C’est qu’il ne fait pas si chaud ici. Des bougies sont allumées et un bâtonnet d’encens dégage une senteur apaisante. Cannelle ? Santal ? Je ne sais mais je suis vraiment bien. La lumière est douce, tamisée par les rideaux beiges qui masquent les immeubles voisins. Aucun bruit n’arrive de la rue et des volutes de fumée décrivent de fines arabesques immatérielles.
On chante Om trois fois. C’est bien. Je ne sais pas ce que c’est mais ça me plaît Om, ça fait vibrer toute ma tête et mon cerveau, comme si ça rangeait tout à l’intérieur en calmant l’agitation. Puis André m’engage gentiment à parler de ce que je veux, n’importe quoi, ce qui vient. J’ai un petit moment d’hésitation : je n’ai pas l’habitude qu’on m’invite comme ça à parler si ouvertement de moi ou de n’importe quoi. Mais bien vite les mots sortent tous seuls. Les enfants… les grossesses… Et bientôt il n’y a plus que des larmes, des océans de larmes… André ne dit rien. Il me laisse pleurer, approchant des mouchoirs, me laissant sentir que je suis en totale sécurité. Puis doucement, je parle...
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